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Débat "Restituer ? Les musées parlent aux musées"

Sous-titre
Propositions et recommandations professionnelles suite à la soirée-débat du 20 février 2019 au musée des Arts et Métiers
Communiqué d'ICOM France

Le comité national français du Conseil International des Musées - ICOM France - a réuni le 20 février 2019 les professionnels de son réseau pour échanger autour du rapport « Restitution du patrimoine culturel africain. Pour une nouvelle éthique relationnelle », remis par Bénédicte Savoy et Felwine Sarr au Président de la République.

ICOM France avait, avec l’accord de ses auteurs, mis en ligne ce rapport très attendu par la profession, dès sa remise au président de la République le 23 novembre 2018.

De nombreuses questions sont vite apparues et les membres d’ICOM France ont émis le souhait d’en débattre entre professionnels de musées : au-delà des convictions exprimées par le rapport sur les objets acquis en Afrique subsaharienne pendant la période de la colonisation - convictions que certains professionnels, en tant que citoyens, peuvent ou non partager - la profession a été frappée de constater que les musées ne sont pas au cœur du propos, alors même que les objets concernés sont dans leurs collections, conservés, documentés, restaurés, le cas échéant exposés dans les établissements muséaux.

La session, comme toutes les sessions d’ICOM France, s’adressait à tous les professionnels de musées, quels que soient leur fonction dans leur institution et leur niveau dans la hiérarchie. S’agissant de la question présentement posée par les restitutions, même si les fonctions scientifiques et de conservation sont concernées au premier chef, tous les autres métiers le sont aussi : les médiateurs quand il s’agit de répondre aux questions des publics, les archivistes et les photographes quand il s’agit de documenter les objets, les muséographes quand il s’agit d’en mettre en scène le récit, les régisseurs quand il s’agit de les mouvoir, les juristes quand il s’agit d’appliquer la loi, les responsables des relations internationales, de la communication...

La participation des publics au débat a été significative, avec 140 inscrits. Les orateurs de la soirée-débat ont été choisis pour représenter des musées dépositaires de collections visées par le champ du rapport : le musée du Quai Branly à Paris et trois musées en région (Angoulême, Rochefort, Nantes). Il nous a semblé aussi essentiel que les collections d’histoire naturelle - même si elles ne sont pas évoquées dans le rapport - soient représentées (Muséum de Nantes) eu égard à l’importante présence de ressources provenant de la période coloniale. Les aspects juridiques (loi, code du patrimoine, conventions internationales...) ont été présentés par la représentante du service des musées de France (direction générale des patrimoines - ministère de la Culture). ICOM était représenté par son directeur général dans la salle et la modération de la table ronde était assurée par la présidente d’ICOM France.

L’objet de la réunion a été rappelé en introduction :

I - Donner aux professionnels des clés de lecture du rapport afin qu’ils puissent s’en saisir et en débattre dans leurs propres établissements et avec leurs partenaires, notamment pour établir de meilleurs rapports avec les musées africains ;

II - Faire, le cas échéant, des propositions et recommandations professionnelles constructives.

I – La table ronde s’est déroulée au fil de sept questions :

  1. Collections patrimoniales, inaliénabilité, restitutions : que dit la Loi ?
  2. Périmètre du rapport : pourquoi l’Afrique subsaharienne ? Pourquoi cette période ? Pourquoi se limiter aux objets d’art, sans considérer les collections d’histoire naturelle ?
  3. Provenance des collections : comment chaque établissement organise-t-il concrètement le travail d’histoire et de documentation ? Ce travail est-il justement valorisé  et partagé?
  4. Quelles règles de l’art sont préconisées en matière de circulation et conservation préventive des œuvres sensibles ? Sont-elles universellement (ou généralement) respectées entre prêteurs et emprunteurs ?
  5. Place des publics : comment les associer ?
  6. Les musées sont désormais partie prenante de la diplomatie culturelle. Est-ce un déplacement de leur cœur de métier ? Le rapport suggère que conserver des objets de la période coloniale participe d’entretenir l’esprit de colonisation. Dès lors, se séparer des objets serait-il le premier acte d’une nouvelle éthique ?
  7. Comment les ambitions de partage culturel et de paix qui fondent toute réflexion sur les restitutions peuvent-elles être l’occasion de coopérations fructueuses et enrichies avec les institutions qui mettent en valeur les œuvres de par le monde ?

 

II - Propositions et recommandations professionnelles :

  • Valorisation du travail scientifique sur les collections
    • Soutenir le travail scientifique sur les provenances, les disparités d’origines et les processus d’acheminement, et lui donner une reconnaissance, par le moyen d’un fonds dédié pour la recherche sur les provenances des biens culturels (cf. exemple allemand) ou d’un programme de recherche public dédié.
    • Lancer un appel d’offre de recherche sur les collections issues de la période coloniale, favorisant explicitement les recherches menées conjointement par des professionnels de musées et des chercheurs institutionnels ou universitaires. Ces recherches devraient toutes comporter une dimension de comparaison internationale.
  • Formation initiale
    • Promouvoir les études en matière d’histoire de l’art africain, que l’actuel manque de débouchés ne rend pas attractives.
  • Formation professionnelle et tout au long de la vie
    • Concevoir une formation professionnelle spécifique pour tous les professionnels de musées dépositaires de collections provenant de contextes coloniaux. Cette formation permettrait de distinguer les différentes catégories de collections, comporterait une base historique de nature à comprendre les enjeux, donnerait des clés de dialogue avec les visiteurs ou partenaires.
    • Favoriser les échanges croisés (définir un cadre de travail adapté) de professionnels de musées français et africains.
  • Information des publics
    • Promouvoir le rôle éducatif des musées en accordant une place prépondérante à la pédagogie du récit et à la contextualisation.
    • Concevoir des outils de communication à destination des publics, tels que brochures ou panneaux. Ces outils seraient communs à tous les musées, validés par une instance ad hoc, et utilisés dans les établissements si besoin. Se rapprocher des collègues des musées d’Afrique subsaharienne et de la diaspora pour cette présentation.
  • Diplomatie culturelle
    • Les musées sont des acteurs de la diplomatie culturelle, mais ne sont pas des entités politiques. Sensibiliser les acteurs publics ou privés, élus ou responsables nationaux ou territoriaux au rôle de conservatoires et de lieux d’échange des cultures. Structurer l’analyse des demandes de restitutions en fonction de l’instruction des conditions historiques réelles des provenances d’objets.
    • Pérenniser les échanges scientifiques entre institutions muséales, clé de la réponse politique à l’enjeu d’instaurer de nouvelles relations internationales : renforcer le dialogue entre les musées, par la mise en place de chantiers communs des collections, de bases de données communes, de partage des savoirs entre professionnels (notion de rapatriation of knowledge).
    • Expliciter davantage et soutenir le principe d’universalité des collections des musées, comme gage du dialogue entre les cultures et élément défiant les tentations de replis identitaires. Ce principe est promu par le code de déontologie de l’ICOM, traduit dans 36 langues, lien entre ses 40 000 adhérents dans les 135 pays membres.
  • Lois et règlementations
    • Rassembler en un fascicule unique les principaux textes formant le cadre juridique international et national concernant les collections patrimoniales issues ou non des contextes coloniaux, et les possibilités de restitution existantes le cas échéant dans le droit, pour en permettre une meilleure connaissance par les professionnels des musées. Ce document pourrait comporter pour certains points un tableau comparant les situations de différents pays.
    • Renforcer l’utilisation des diverses possibilités de circulation des œuvres, y compris prêts et dépôts.

La discussion se prolongera sur le territoire avec la synthèse des débats, qui sera publiée sur le site d’ICOM France dès le mois d’avril. Elle sera suivie d’un colloque de deux journées qui associerait les collègues des principaux pays dépositaires de collections issues des périodes coloniales et les pays d’origine de ces objets.

Les intervenants :
Claire Chastanier, adjointe au sous-directeur des collections, service des musées de France, direction générale des patrimoines
Philippe Guillet, directeur du muséum d’histoire naturelle de Nantes
Yves Le Fur, directeur du département du patrimoine et des collections du musée du Quai Branly – Jacques Chirac
Emilie Salaberry, directrice des musées et archives de la ville d’Angoulême
Claude Stefani, directeur des musées municipaux de Rochefort
Modération : Juliette Raoul-Duval, présidente d’ICOM France

 © Musée d'Angoulême, Creative Commons CC BY-SA 3.0