Tribune parue dans Le Monde

Déclaration

Le vol au musée du Louvre et l’ampleur que l’affaire a pris dans le débat public ont profondément ébranlé le monde des professionnels de musées. Nombreux sont ceux qui se sont sentis touchés par des critiques parfois acerbes et injustes adressées à la présidence et aux équipes du musée, auxquelles nous apportons notre plein soutien. Cette affaire les plonge avec dureté dans l'injonction quasi-schizophrénique qui ressort de leur mission essentielle : exposer tout en préservant, montrer au plus grand nombre des œuvres originales tout en garantissant la pérennité des collections publiques. C’est là tout ce qui distingue le musée du coffre-fort : l’accessibilité.

Car la conservation reste évidemment au cœur de la mission muséale, comme le rappelle la définition des musées de l’ICOM (Conseil international des musées, créé en 1946) dont la version révisée a été adoptée en 2022 après avoir été âprement débattue : « Un musée est une institution permanente, à but non lucratif et au service de la société, qui se consacre à la recherche, la collecte, la conservation, l’interprétation et l’exposition du patrimoine matériel et immatériel […]».  Pour autant, elle n'est plus la seule, loin de là : l’institution muséale a en effet connu des évolutions extrêmement rapides au cours des dernières décennies.

« Le concept de musée n’est pas extensible à l’infini » estimait William Rubin, conservateur au MoMA dans les années 1970 et 1980. Et pourtant… La croissance du tourisme mondial a fait des institutions phares (peu nombreuses certes mais très visibles) des attractions recherchées, leur donnant des moyens supplémentaires, mais les exposant davantage. Les missions du musée se sont élargies et les musées ont endossé peu à peu et avec un engagement nécessaire un rôle social essentiel dans un monde traversé par les crises. « Au service de la société », les musées sont aujourd’hui – et c’est heureux - à l’écoute des grands enjeux de notre époque, comme l’inclusion, la diversité, la participation citoyenne, la santé, la durabilité, tout en devant conserver le haut niveau d’expertise scientifique qui leur assure la confiance des publics.

Les tensions budgétaires qui en découlent sont évidentes. Concevoir et mettre en œuvre des programmes pour des publics à besoins spécifiques, imaginer et réaliser des dispositifs de médiation adaptés à la pluralité sociologique des visiteurs, revoir les pratiques métiers de conception des expositions pour répondre mieux à la nécessaire transition écologique… autant d’actions qui requièrent temps, énergie et moyens. Y renoncer ? Ce serait faire fi de la nécessaire évolution des établissements, dont le devoir est de rester en phase avec leur temps et avec l’évolution de notre monde pour demeurer pertinent. xposer aujourd’hui comme hier, sans changer l’appareil discursif, sans faire évoluer la mise en contexte, sans prendre en compte la diversité des publics et de leurs attentes reviendrait à signer l’arrêt de mort des musées, en en faisant des objets hors sol.

Rappelons-le, les musées ne sont pas des institutions « rentables » financièrement, et ils ne sont pas destinés à l’être. Leur rentabilité est ailleurs, dans leurs missions de conservation, d’éducation, de sensibilisation des publics. Sans les subventions publiques qu’ils reçoivent, ils ne pourraient ouvrir leurs portes, ni remplir leur mission de service public. Dans le paysage français, les institutions dont les recettes propres couvrent les dépenses de fonctionnement font figure d’exception. En 2023, les établissements patrimoniaux dépendant du ministère de la Culture affichaient globalement un taux de ressources propres à hauteur de 50%.

Si la décennie 2000-2010 a vu les crédits dédiés aux musées qui dépendent de l’État augmenter de 58% selon la Cour des Comptes (avec un taux d’inflation de 20% sur la période), les années 2010-2025 ont été des années de stagnation. Le plafond d’emploi a également diminué, diminution qui semble se confirmer dans le budget 2026. N’oublions pas que sur les 1 200 musées bénéficiant de l’appellation « Musées de France » régie par le Code du Patrimoine, 82 % relèvent des collectivités territoriales. Et la situation n’y est évidemment pas meilleure. Sur la période 2019-2023, la progression budgétaire est de seulement 2% et 2025 marque une rupture. La situation des collectivités s’est fortement dégradée et le baromètre de l’observatoire des politiques culturelles souligne une baisse budgétaire inédite par son ampleur : 47 % des répondants à l’enquête déclarent une diminution du budget de la culture entre 2024 et 2025.

Le mécénat, longtemps présenté comme une planche de salut, n’est pas la manne espérée. Il reste marginal dans l’équilibre budgétaire global et se concentre surtout sur les grandes institutions. Quant à la hausse des tarifs d’entrée, elle a ses limites : faire payer davantage les visiteurs étrangers hors Union européenne, comme l’annoncent plusieurs grands établissements, ne saurait être une solution généralisable, notamment pour les musées dont le public n’est pas principalement issu du tourisme international.

Les musées sont donc aujourd'hui « coincés » entre des recettes qui stagnent, des dépenses qui augmentent et des ambitions légitimes, multiples et impérieuses. La conviction des pouvoirs publics de l’importance du rôle des musées dans notre société et leur soutien sont donc primordiaux pour leur donner les moyens d’accomplir l’ensemble de leurs missions. Il en va de la crédibilité et de l’avenir des musées.

Pour ICOM France (comité français de l’ICOM),
Emilie Girard, sa présidente