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Lettre de l'Icom France n°3

 

Editorial

Il n’était pas dans l’ordre prévisible des choses que le prédécesseur de Jean FAVIERE à la direction des musées de Strasbourg devînt son successeur à la présidence de la section française de l’I.C.O.M. Ce pas de deux est donc l’effet du hasard et non point de la nécessité. Que cet humour involontaire les conduise tous deux à apprécier le chemin parcouru par l’autre et à œuvrer pour le bien culturel des collectivités qui leur ont accordé leur confiance.

Le nœud des problèmes agités ces temps derniers au sein de l’I.C.O.M. et, partant, de sa section française réside dans une crise de croissance. Constitué au départ de phalanges de professionnels des musées stricto sensu : conservateurs, directeurs, custodes, etc. selon la terminologie propre aux pays concernés, l’I.C.O.M. s’est rapidement étoffé, par à-coups pourrait-on dire, ces à-coups étant provoqués par la proximité des assemblées générales triennales, et au fur et à mesure que les musées recueillaient une plus large audience. Il est certain que la croissance d’un corps organisé modifie les données de départ et remet en cause les modalités de son fonctionnement. Des forces se mettent en jeu qui n’étant pas, de prime abord, investies de la science et conscience initiale, base de la déontologie propre au musée, tendent à infléchir l’esprit et les pratiques de ce corps dans leur propre sens, qui est autre et par conséquent centrifuge. Ces forces sont de deux ordres essentiellement :

 

1. Celle des spécialistes, regroupés, fort légitimement d’ailleurs dans les divers comités internationaux, lesquels représentent en principe ce que sont les sous-comités dans le cadre d’une association, c’est-à-dire des chambres de réflexion et d’approfondissement des problèmes spécifiques, et des organes de proposition extrêmement utiles, car ils sont à même de répondre techniquement de la façon la plus autorisée et la plus adéquate à la vocation générale de l’I.C.O.M. Mais le penchant des spécialistes n’est-il pas de s’enfermer dans la spécialité et, la communauté des collègues aidant, le penchant du groupe n’est-il pas de se suffire à lui-même et d’oublier un peu de qui il est l’émanation, c’est-à-dire l’I.C.O.M. international ? La section nationale devant demeurer, en tout état de cause, partie informée.
J’ai toujours été frappé de la justesse de cet aphorisme des Pantcha Tantra : la vertu fut une aide, la vertu est l’entrave, applicable à toutes les circonstances. Ainsi, ce qui dans le cadre de l’I.C.O.M. représente une fonction spécifique efficace, risque de devenir un facteur d’affaiblissement, une menace d’éclatement, car la finalité générale de cet organisme tend à être sacrifiée à la finalité spécifique, la fonction mettant en péril l’organe. Un exemple, parmi d’autres, qu’il s’agisse de muséologie, de pédagogie et, singulièrement, d’égyptologie (à ce propos le Comité français élève à l’unanimité de ses membres une protestation contre la création du Comité d’égyptologie, car il existe bel et bien un comité d’archéologie – où s’arrêterait-on dans cette voie ?) : les spécialistes de l’étude scientifique des composantes de l’œuvre d’art ou de l’objet de musée, ainsi que de la restauration n’ont-ils pas de plus en plus tendance à considérer qu’en vertu de leur formation et de leur information scientifiques eux seuls seraient habilités à juger de la valeur intrinsèque des pièces de collection , à l’encontre des historiens d’art, praticiens de nos musées que sont les conservateurs ? Comme si, précisément, l’étude historique, stylistique et morphologique n’apportait pas à la connaissance objective des pièces plus qu’un complément, et indispensable ?

Rigueur des sciences dites exactes – et qui changent ! Opposée à l’esprit de finesse des sciences dites humaines qui s’applique aux problèmes de relations et de causalités historiques ? Des deux côtés la subjectivité est à l’œuvre, immanquablement, de sorte que seule la complémentarité est garante de la vérité la plus approchée.

 

2. L’autre force centrifuge est constitué par le corps, disparate, de ceux dont les préoccupations essentielles sont extérieures au musée pour le négoce ou pour le faire-valoir. Tout grand corps secrète ses parasites. Que l’on m’entende bien : nombreux sont ceux qui leur profession ne lie pas étroitement au musée, mais qui lui apportent leur soutien, leur foi, leurs lumières, leurs moyens et leur bonne volonté. Ils ont droit à notre reconnaissance, et un article des statuts de l’I.C.O.M. est spécialement conçu à leur bénéfice. Mais ne nous le cachons pas, il y a les marchands du temple, qui font plus qu’envahir les parvis et qui d’une voix empruntée parlent haut et fort. L’I.C.O.M. se doit de les démarquer et de les contenir, faute de quoi la foire s’installe et le patrimoine culturel des nations, présent et à venir, risque d’en faire les frais, car il n’est plus servi, mais asservi. Il importe donc d’être vigilant ; la section française de l’I.C.O.M. est particulièrement sensible à cette question, c’est pourquoi elle a proposé la modification des article 4a et 9 des statuts relatifs à la définition, tant qualitative que quantitative de ses divers membres.

Les sections nationales donnent souvent à penser qu’elles n’existent qu’à l’horizon des assemblées générales. Il est vrai qu’elles n’ont pas l’efficience des comités internationaux. Les rapports triennaux d’activité le révèlent bien. Mais ne seraient-elles que le relais fidèle et constant des informations transmises par l’I.C.O.M., il conviendrait de leur en savoir gré. La section française a noué avec l’Association des Conservateurs des Collections publiques de France un type de relations qui, au-delà de ce rôle d’intermédiaire, devrait assurer une réflexion commune sur des sujets inscrits au programme des rencontres de l’I.C.O.M. Même si les derniers travaux en commun ont été décevants, il y a lieu de persévérer, car ce n’est qu’ainsi que ces rencontres peuvent avoir une portée, des retombées réelles, éprouvées.

Il faut se féliciter de la participation en force des Français à l’Assemblée générale de Londres cette année, malgré une conjoncture financière particulièrement défavorable. Le soutien substantiel de la Direction des Musées de France a pallié heureusement cette carence ; nous lui en sommes vivement reconnaissants. La session de Grande-Bretagne a été révélatrice à bien des égards. Si les discussions, les controverses, les contestations se sont donnée libre cours dans les séances des comités internationaux (çà et là aussi a-t-on pu constater un manque de tonus frisant l’inexistence), cette session a mis en évidence un assez large consensus dans les séances plénières. Comment, à ce stade de promotion de l’I.C.O.M. pourrait-il en être autrement ? Car l’esprit de représentation dont parlais jadis Jean Guéhenno à propos de l’UNESCO et celui de convenance ne sauraient plus être absents d’une aussi haute et large assemblée. L’amabilité et la respectabilité de nos hôtes anglais, l’accueil bienveillant des pouvoirs réservé à un organisme dont, toutes proportions gardées évidemment, ils ne peuvent ignorer l’audience conduisent à observer une certaine discrétion du maintien, au risque de paraître de convention, d’où l’importance pour nous, membres français de l’I.C.O.M., d’être présents partout où des positions sont affirmées et des décisions prises. Ne serait-ce aussi que de ne pas faire oublier, dans le principe et dans la pratique, que le français est une des deux langues officielles de l’I.C.O.M. et doit le demeurer à parité avec l’autre.

Victor BEYER

Président du Comité National Français

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