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Lettre de l'Icom France n°32

Editorial

Malaise dans les musées, ce titre de l’ouvrage de Jean Clair récemment paru (Flammarion 2007) dit bien l’esprit d’une communauté qui voit les repères qui guidaient les pratiques professionnelles dans les musées progressivement remis en question sans être pour autant remplacés par de nouvelles normes. En matière de normes, l’ICOM a fait œuvre de pionniers en publiant dès 1986 un Code de déontologie qui reste une référence dans la plupart des pays du monde. La question de l’éventuelle cession des collections comme celle de la restitution des œuvres indûment captées aux pays sources sont exprimées de manière ouverte mais ferme rappelant en particulier que « Les collections des musées sont constituées pour la collectivité et ne doivent en aucun cas être considérées comme un actif financier ». (Code, 2.16)

La mission même du musée est aujourd’hui contestée par des économistes et des financiers dont les avis sont repris dans le Rapport sur l’économie de l’Immatériel remis ne novembre 2006 au ministre de l’Economie et des Finances de l’époque (Maurice Lévy, Jean-Pierre Jouyet, La Documentation française, novembre 2006). Ce Rapport énonce clairement que le musée est une « marque culturelle » dans une « portefeuilles d’actifs matériels et immatériels » qu’il convient de valoriser pour faire gagner un point de croissance à la « marque France ». Pour ce faire, la vente du nom, quand elle est possible, est vivement souhaitée (Le Louvre Abou Dhabi en est l’exemple emblématique) et la cession d’une partie des collections des musées considérée comme nécessaire et d’ailleurs déjà pratiquée dans un certain nombre de pays en Europe.

Lors du débat organisé par ICOM France le 15 juin 2007, à la Cité de l’Architecture et du Patrimoine et dont nous publions ici les Actes (Culture, marché, où vont les musées ?), la Directrice des musées de France rappelait avec force que le principe d’inaliénabilité des collections publiques de France, inscrit dans la loi, ne saurait être remis en cause. Depuis, la lettre de mission du Président de la République à la ministre de la Culture lui demande « d’engager une réflexion sur la possibilité pour les opérateurs publics d’aliéner des œuvres de leur collection, sans compromettre naturellement le patrimoine de la Nation, mais au contraire dans le souci de le valoriser au mieux ». La ministre de la Culture a confié une mission de réflexion à Jacques Rigaud qui remettra son rapport début 2008.

Ainsi tout est possible et les collections constituées en France pour lutte contre le « vandalisme » et être mise au service de la collectivité pourraient n’être plus que des monnaies d’échanges dans les opérations commerciales et diplomatiques aux finalités différentes. Certes l’Etat et les collectivités locales se défendent d’avoir de telles pensées et arguent du fait que les réserves dans les musées seraient surchargées voire mal gérées et que les collections des musées, en circulant davantage et en étant « mieux valorisées » serviraient mieux la cause du rapprochement entre des sociétés ou des cultures différentes, cette « diversité culturelle » promue par ailleurs parmi les causes nationales.

Les différentes associations des professionnels de musées en France ne sont pas convaincues par de tels arguments et proposent d’organiser des Assises qui permettront de clarifier les enjeux et de proposer des solutions définies en commun. Mais, comme à l’époque de la création de nos grands Musées nationaux, il y a urgence à réagir avant que des décisions hâtives ne mettent en péril un patrimoine créé et préservé depuis plus de deux siècles. ICOM France sera dans ce Débat un partenaire ouvert sur le monde mais ferme sur des principes qui sont au cœur de notre engagement pour les musées et leurs collections au service des publics d’aujourd’hui et de demain.

« Le monde des objets, qui est immense, est souvent plus révélateur de l’esprit lui-même ». Cette phrase de François Dagognet exprime notre responsabilité au service du patrimoine compris comme une mémoire féconde et un espace de création, un ferment actif qui repose sur un socle de valeurs et de connaissances dont le partage définit la culture. Les patients travaux des professionnels de musées portent ainsi une grande ambition tout en revendiquant au quotidien une leçon d’humilité et le souci de la durabilité de nos actions.

Dominique Ferriot,
Présidente ICOM France

 

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