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Les actes d'ICOM France n°40

Musées et paysages culturels: le monde muséal interpellé par la Charte de Sienne

Editorial

L’année 2016 a été en France une année de débats publics et politiques sur les enjeux culturels, avec la discussion et le vote de la loi « Liberté de la création, architecture et patrimoine ». Peu de temps auparavant, la loi portant la nouvelle organisation territoriale de la République avait produit d’importante transformations dans la répartition des compétences en matière de culture entre l’Etat et les régions, aboutissant notamment) renforcer les compétences des régions et le poids des élus territoriaux. Tenir la journée professionnelle annuelle d’ICOM France dans l’enceinte du Sénat était symbolique. Il s’agissait de sensibiliser les élus aux problématiques des musées, particulièrement bien sûr celles de musées en région et de mieux appréhender les attentes des élus à l’égard des musées.

Nos vifs remerciements vont tout d’abord à Françoise Carton, vice-présidente du Sénat, sénatrice de la Gironde, membre de la commission Culture, Education et Communication, qui nous a accueillis dans les salons de la Présidence du Palais du Luxembourg. Son engagement aux côtés des musées et sa conviction que les professionnels des musées ont un rôle social éminent à jouer notamment dans le milieu éducatif et jusque dans les zones rurales a pesé fortement pour la réussite de cette journée. Remercions également chaleureusement Jean-Claude Luche, sénateur de l’Aveyron et président de son conseil départemental. Sa riche expérience d’élu local le convainc qu’aujourd’hui un musée doit tisser des liens et s’intégrer pleinement dans un territoire car la culture c’est toujours un choix pour les collectivités territoriales.

Nos tables-rondes abordait précisément le sujet des changements intervenus dans le monde muséal : Daniel Jacobi a souligné la diversité des institutions, leur accroissement et le « paradigme de l’exposition » qui transforme le musée. Jean-Pierre Saez a livré une analyse de la place de la culture dans la loi NOTRe, plus que jamais liée à l’ambition de chaque collectivité. Il n’y a de « compétence culturelle obligatoire » -que l’auteur aurait souhaité- le patrimoine reste l’objet le plus sensible dans les relations entre les collectivités et l’Etat mais le texte introduit clairement l’idée de droit culturel, notamment grâce à l’insistance des sénateurs. Sylvie Pfliergler a mis en avant l’extrême hétérogénéité des situations -1% des musées concentrent 50% des entrées- et a posé la question de la soutenabilité future des musées de France.

La deuxième table-ronde était celle de professionnels des musées venant d’établissements ou d’associations en région, invités à témoigner de leur expérience, de leurs espérances et de leur ancrage dans le territoire. Jean Guibal a avancé l’idée que le musée du patrimoine devait être la maison mère de tous les patrimoines. Christophe Vital témoigne d’une démarche participative, en Vendée, d’un projet de musée qui associe la population à sa définition. Géraldine Balissat a relaté l’expérience de gestion en réseau coopératif des musées scientifiques et techniques francs-comtois, du rapport de cette association avec les élus, les propriétaires de site et en a exposé les enseignements institutionnels. Nicolas Dupont a mis en perspective l’engagement conjoint des politiques et des professionnels qui a fait du projet du musée des Confluences l’une des plus vastes réhabilitations urbaines en Europe.

Après ces très fortes interventions, Jean-Michel Tobelem dans sa conclusion, est revenu sur la notion de « paysage culturel », en soulignant le paradoxe d’une responsabilité accrue des musées à l’égard de leur territoire dans une période où ils ont eu du mal à faire face à leurs missions existantes. De manière prospective, il a interrogé leur rôle à venir dans le sens de l’intérêt public et de la cohésion sociale, en invitant à un décloisonnement et à une ouverture à la mutualisation, aux partenariats et à la coopération.

Le tempo de cette réunion était aussi fixé par des enjeux internationaux : elle précédait la 24e Conférence générale triennale d’ICOM international, qui s’est tenue à Milan en juillet 2016. Les acteurs culturels italiens avaient retenu la thématique « Musées et paysages culturels » et rassemblé des préconisations dans une charte, dite Charte de Sienne, qui a inspiré nos réflexions et suscité, à l’international, une position coordonnée de la délégation française sous le pilotage de Louis-Jean Gachet, membre du Bureau d’ICOM France.

La journée d’ICOM France au Sénat s’inscrivait donc dans une double actualité : française avec le contexte de la décentralisation et de la loi Création ; mondiale à Milan.

Cette séance de travail des professionnels de musée a aussi été porteuse d’une annonce : celle du lancement de la mission « Musées du XXIe siècle » par Marie-Christine Labourdette, directrice du Service des musées de France au Ministère de la Culture. Orientée principalement sur la question des publics, la mission visant prioritairement à conforter les politiques de démocratisation des musées et d’accueil de tous, notamment de ceux qui en sont le plus éloignés. On trouvera, en fin de ce volume, la contribution d’ICOM France à cette mission d’envergure.

Pour tous les intervenants et dans le débat avec les professionnels présents, l’actualité des musées reste complexe. D’un côté, la fréquentation des « grands » musées, même si elle a connu un ralentissement sous l’effet des évènements terroristes, reste très élevée. D’un autre côté, un territoire, les situations sont très inégales voire disparates. Les ressources sont plus rares et la part de l’activité consacrée à les rechercher et à les gérer s’accroît mécaniquement.

Les métiers changent. Nous avons lancé un cycle de soirées-débats : qu’est-ce qu’être aujourd’hui un professionnel de musée, quelles compétences et quelles qualifications sont requises, quelles formations sont dispensées pour que tous ceux qui œuvrent au sein d’une institution muséale aient une déontologie commune ? Y a-t-il toujours un « modèle français », tel celui qui avait permis il y a 70ans la création à Paris de l’ICOM aujourd’hui présente dans 136 pays et de son code de déontologie traduit dans 36 langues et qui fait loi dans de nombreux pays qui n’en disposent pas ?

A nos 4700 membres, invités chaque année à se rassembler en assemblée générale et à débattre de questions vives (en 2017, le « Récit dans l’exposition », au musée des Confluences), nous voulons donner davantage la parole, notamment à travers un site renouvelé qui permettra de partager expérience et bonnes pratiques.

Juliette Raoul-Duval
Présidente d’ICOM France

Denis-Michel Boëll
Ancien président d’ICOM France

 

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